Si vous demandez à mes parents ce que je voulais faire petite, ils vous répondront « espionne ». Absolument fan des Totally Spies, je jouais avec un compoudrier jouet McDo et m’imaginais courir en combinaison et talons pour une mission. Si seulement j’avais trouvé un but… Contrairement à moi, les espionnes ont de vrais buts : sauver le monde de la griffe des méchants. Cependant, leur représentation qui fait maintenant partie de la pop culture est soumise à une vision clichée. Si les Spies ne sont pas si Totally c’est parce qu’elles ne sont pas seulement des femmes espionnes qui donnent une idée de pouvoir et d’indépendance, mais aussi car elles permettent de questionner sur la représentation des espionnes dans la culture populaire comme stéréotype.
Femmes capables
Quand les femmes ne sont pas seulement un corps à montrer, elles sont des criminelles ou des dames en détresse que l’espion doit sauver. Mais ça c’était avant les années quatre-vingt. Après, on nous laisse penser que leur rôle change et qu’elles ont des responsabilités en tant qu’espionnes. On peut même penser qu’elles sont indépendantes waw ! Dans la saga James Bond, elles sont appelées « James Bond girl » (oui pas top d’être appelées par rapport à un homme…), elles occupent des fonctions importantes à responsabilités et participent activement au bon déroulement de la mission. Dans la parodie OSS117, le sérieux de Larmina et Dolorès contrastent avec l’absurde personnage de Hubert en se montrant sûres d’elles et très main character. Quant à nos iconiques Totally Spies, elles ont une série dédiée à elles seules, ça en dit long, enfin presque. En menant le lead ensemble et en se montrant unies entre elles, elles apportent une certaine idée de la sororité. But they do more than just slay…
Si les espionnes étaient des fashion ?
En se basant sur la définition de stéréotype c’est-à-dire une « caractérisation schématique et symbolique » (Larousse), il a été possible d’identifier différentes représentations d’espionnes et de les catégoriser (oui sorry on doit mettre dans des cases). Si le stéréotype de la femme fatale comme espionne est connu, il n’en est pas plus vrai dans la représentation. Parmi les James Bond Girl, les espionnes avec Hubert et les Totally Spies, aucune ne correspond à la description d’une femme fatale c’est-à-dire d’une méchante femme séductrice qui use de ses charmes pour duper un gentil héros. En revanche, elles répondent toutes aux mêmes critères d’un physique avantageux avec des visages et formes jugés beaux. Si toutes partagent l’intelligence, la débrouillardise et le sens de la loyauté comme qualités essentielles pour une espionne, elles se distinguent tout de même entre elles tout en formant des groupes homogènes. Sachant qu’un stéréotype est une image d’un groupe social, pour accentuer l’absurdité de celui-ci je me suis permise de l’imager version fashion.
Par exemple dans la Versace Spy on peut retrouver Clover des Totally Spies et Tatiana Romanova de James Bond, Bons baisers de Russie (Terence Young, 1963). En effet, à l’image de la femme Versace, la Versace Spy est blonde et dans la séduction. Et la couleur de cheveux est importante pour la séduction, ça en est même un outil. Les couleurs dorées et l’excentricité qui se dégagent d’elles font d’elles des espionnes en puissance dans l’era Gianni années 90. Au-delà d’une arme, la séduction règne dans le récit de nos agentes secrètes.
Dans le genre sérieux et intrépide, il y a le grand (enfin petit) Azzedine Alaïa avec May Day dont il a d’ailleurs signé les costumes pour Grace Jones. On retrouve aussi Dolores dans OSS117 Le Caire : nid d’espions (2006) et Sam. Tout en gardant une singularité qui est propre et reconnaissable, les espionnes en Alaïa font du cuir un élément emblématique de leur personnalité en faisant la force de celle-ci. Nos espionnes sont reconnaissables par leur force de caractère et de slay !
Les iconiques de Jean Paul Gaultier par Jean Paul lui-même donnent naissance à Vesper Lynd de Casino Royale (Martin Campbell, 2006), Madeleine Swan interprétée par notre icône nationale Léa Seydoux dans Mourir peut attendre (Cary Joji Fukunaga, 2021), Larmina dans OSS117 Rio Ne Répond Plus, (2009) et Alex des Totally Spies. Les couleurs, les imprimés et les motifs nous font penser à la sociabilité de nos agentes favorites qui n’ont pas peur de mélanger tradition et modernité. Leur côté rebelle se revêt par le corset qui permet loyauté (un iconique), l’élégance (c’est classe) et la séduction (c’est grrrr).
Le fait d’avoir pu dresser un portrait aux caractéristiques communes des femmes espionnes dans James Bond, Totally Spies et OSS117 avec Jean Dujardin (même si ça me tue d’écrire le nom de celui qui soutient ouvertement le réalisateur en P word) pourrait témoigner de l’existence d’un stéréotype de femmes espionnes.
Stéréotype nécessaire ?
En plus de dresser un portrait du stéréotype, ne serait-il pas utile de revenir dessus et sur son utilité ? Les œuvres présentant nos espionnes sont des nids à stéréotypes, et ce de manière obvious. Avec OSS117, l’humour permet de montrer non seulement le côté parodique et absurde du personnage mais aussi de marquer le cliché. Pour James Bond, plus il est représenté, plus il entretient le cliché. Son personnage est même plus qu’un stéréotype, il est un archétype dans le sens où sa représentation répétée et ancrée profondément dans la culture populaire. Son personnage se suffit à lui-même pour être un cliché voire un mythe, contrairement à la figure de la femme espionne qui ne cesse de changer de forme. Au-delà du personnage de James Bond, il y a aussi les noms des James Bond Girls qui permettent de les inscrire dans un cadre stéréotypé : Pussy Galore (no, for you, i’m not a whore and i don’t love money galore) dont le nom porte une connotation très suggestive ; Xenia Onatopp, tueuse à gage dominatrice, porte un prénom signifiant quelqu’un qui aime être au-dessus. Il y a aussi May Day qui semble lancer un appel à l’aide avec ce nom mais qui est pourtant une antagoniste. Chez les Totally Spies, la superficialité de Clover, Sam et Alex est suffisamment exagérée pour que l’on comprenne qu’elle représente le cliché qu’elles sont. Cette superficialité était même voulue des créateurs qui ont cherché à ajouter un côté sympathique et gentil aux filles.
Let’s be serious : le stéréotype est utile et nécessaire. Oui sorry but il est normal et inévitable dans la mesure où il représente une image d’un groupe social constitué de croyances stables et rigides. Notre vie sociale est submergée de stimuli dont il faut faire le tri et prioriser sinon surcharge cognitive. Il permet alors de catégoriser et de simplifier la réalité sociale pour faire face au manque d’informations comme le dira Lippman en 1922. Les stéréotypes servent à expliquer, anticiper et justifier selon Doise ou différencier selon Tajfel. En les considérant comme des schèmes récurrents et figés qui trouvent leur origine dans les représentations universelles, ils deviennent alors un mythe pour correspondre aux besoins de valeurs d’un groupe social et représenter fidèlement ses aspirations (Amossy, 1984). Le stéréotype devient alors une exagération de la réalité. Il y a un aspect négatif associé aux stéréotypes pour marquer l’étrangeté, la « déformation » selon Barthes. Pour continuer dans la lignée de Barthes, une représentation doit être simplifiée puis diffusée dans un schème récurrent et figé qui va avoir un sens et ainsi devenir mythe. Le stéréotype a un caractère automatisé d’acceptation naturelle par l’opinion publique et ce qui est automatique pour l’opinion passe alors inaperçu. C’est là qu’exagérer les traits est utile car cela permettrait de rendre visible ce qui tend à être transparent. Le stéréotype fige une réalité culturelle dont il exagère les traits qui ne changent pas et dont le sens est connu de tous (Simoes, 2021). Le stéréotype est reçu soit en étant absorbé soit en étant dénoncé. Dans le second cas, il doit être réfléchi, repensé pour être déconstruit et empêcher une possible dénonciation. Les stéréotypes sont nécessaires pour leur déconstruction à condition d’être explicitement marqués. S’ils sont dénoncés en tant que tels, ils perdent de leur sens admis de tous alors même qu’il faut les saisir. L’image de l’espionne devient, à force de représentations et répétitions, un stéréotype, mais ne parvient pas à atteindre le mythe de James Bond qui l’est devenu force de différentes représentations notamment dans la culture populaire. Sa fé réfléchire…
Si Slate ne semblait pas considérer les Totally Spies comme une série féministe notamment par le fait qu’elle prône le culte de la beauté, il me semble que le média passe à côté du message de la série : les personnages sont superficiels pour montrer leur cliché et aussi pour dénoncer la société de consommation et de la mode. Et ça c’est pas moi qui le dit, ce sont les créateurs. Selon Slate, Jerry est une figure patriarcale dont les filles sont sous les ordres et qu’ainsi elles ne sont pas vraiment libres et indépendantes. Mais Jerry ne représente-t-il pas une figure du patriarcat giga obvious qu’il faudrait déconstruire ? En tant que spectateur.ice, on est même invité.e à le faire explicitement notamment lorsque les filles sont littéralement aspirées par Jerry pour aller en mission, on est agacé qu’elles aient été interrompues dans leurs activités. On a aussi le sentiment d’injustice lorsque Jerry s’attribue les mérites de la réussite de la mission en arrivant au moment final venant clôturer la mission. Autre argument selon lequel la série ne serait pas féministe : la série est plutôt post-féministe c’est-à-dire un courant qui affirmerait que les femmes sont désormais indépendantes et que les inégalités sont révolues. Or, si la série s’inscrit bien dans un girl power, cela montre bien l’avancée du féminisme et de la société. Quand bien même ce courant ne serait plus nécessaire de nos jours, il l’a été au moment de la création. Il est plus que nécessaire de recontextualiser l’œuvre pour avancer. Le courant marque une évolution dans laquelle il est important de penser la suite. Certes les femmes ne sont pas réellement indépendantes et les inégalités ne sont pas révolues, cependant avoir une représentation de femmes qui mènent le lead et ont l’air d’être indépendantes, leur permet d’être en capacité de se libérer des autres oppressions patriarcales qui pèsent sur elles. Encore une fois, tout cela permet d’inscrire cela dans la représentation stéréotypée qu’il faut déconstruire.
Alors faut-il vraiment dénoncer le sexisme d’un stéréotype quand celui-ci est seulement le reflet de la réalité alors qu’il offre une piste de réflexion non négligeable ? Ne faut-il pas l’exagérer pour montrer l’absurdité de sa réalité ? Ne pourrait-on pas dire : stéréotype absurde pour réalité absurde ? « A bon entendeur...😉» comme on pourrait le voir dans un commentaire Facebook un peu problématique de Tata Sylvie.
xoxo, Margaux Hansquine